Je souhaitais vous partager la nouvelle écrite sur le thème de la liberté ou comment une hirondelle peut faire prendre conscience des chaines et prisons que nous nous créons. Je vous conseille de la lire jusqu'au bout, et n'hésitez pas a me dire ce que vous en avez retenu.
Je restais
pantoise, les yeux dans le vague, assommée par les images et les sons que cet
outil technologique me renvoyait à chaque instant. Une pensée conforme,
uniforme, sans saveur. Des réflexions refoulées, des cerveaux presque
lobotomisés. Des pantins s’agitaient, trimballés d’un côté à l’autre de ce qui
semblait être une salle à manger. Vague miroir qui renvoyait une image que je
cherchais désespérément à oublier. L’humanité dans son dernier sursaut,
essayant vainement de résister à l’appel inéluctable de la peur. Peur de soi,
peur de l’autre, peur de ce qui nous interpelle, de ce que nous avons du mal à
comprendre. Et ces géants de papiers qui invectivaient la foule à se presser,
car voyons il n’y aurait pas de place pour tout le monde dans ce royaume. Le
royaume des hypocrites, plus préoccupés par le paraître que par l’être, plus
focalisés par l’avoir que par le devenir. Posséder le dernier objet à la mode,
la dernière spectaculaire trouvaille qui vous hisserait au sommet de l’échelle.
Ou du moins pour un temps, car le sommet s’effritait toujours, laissant les
malheureux seuls. J’en étais las de ces balivernes, de cette façon de voir la
vie. N’étaient-ils ici bas que pour suivre leurs semblables dans leur marche
inexorable vers l’abime ? Je ne voyais autour de moi que des âmes
vagabondes, s’enchainant à leurs propres démons, accrochées à leurs portables,
refusant d’échanger un regard. Les conversations à haute voix se tarissaient à
mesure que leurs doigts accéléraient leur tapotement frénétique. Le partage,
les petites attentions disparaissaient devant les calculs et les
individualités. Certains, très peu, se levaient doucement face à cette
ignominie mais se retrouvaient vite mis à l’écart, humiliés.
J’observais
cette danse désolante, sans pour autant chercher de solutions, lorsqu’un instant
suspendu dans les airs, deux notes… Une musique presqu’imperceptible s’est
accrochée à mon oreille. J’ai tendu la tête dans un vague espoir que cela soit
réel. Avais-je rêvé ? Ce trille,
cette joie… Qui pouvait être heureux dans ces conditions ? A nouveau,
l’émotion ressentie, une sonorité qui monte, de plus en plus forte. Et à
présent, je le reconnaissais. Ce doux chant d’un oiseau longtemps attendu,
longuement espéré. Le signal, le réveil de ma conscience. Alors, je regardais
s’envoler l’hirondelle à travers les barreaux de ma fenêtre…
Elle
m’invitait dans son escapade, elle tournoyait au dessus du vide, sans attache,
sans contrainte, libre d’aller, revenir, suivre les trajectoires de l’air,
planant à travers le ciel. Un déclic, un espoir, une résurrection. Pourquoi pas
moi ? Que m’arriverait-il si j’écoutais l’impulsion donnée par cet
oiseau ? N’étions-nous pas à l’ère du lâcher-prise et du renouveau ? La
fenêtre m’appelait, la promesse de ce qu’il y avait derrière m’hypnotisait. Je levais
alors maladroitement ma main et hasardais un placement instinctif. Je tentais
de laisser l’air couler de chaque côté, comme les enfants le faisaient jadis
quand ils courraient. Je pris le temps de ressentir le souffle du vent, de profiter
de la sensation de picotement de la fraicheur hivernale du soir tombant. Un
vague sursaut, l’hirondelle s’était rapprochée, plus majestueuse encore, plus
intrigante et plus envoutante. Elle semblait m’encourager dans ma démarche. Je
l’observais de plus en plus attentivement, accrochée à ses moindres mouvements.
Elle me donnait l’impression d’épier mes gestes et de me confier les prochaines
étapes. La main toujours à moitié déployée, la sensation de légèreté commença à
m’envahir et mes yeux troublés rencontrèrent ceux de la belle tachetée. Ses iris
regorgeaient de bienveillance, d’allégresse et de compassion. Ce regard m’a
transpercé, m’a jeté un sort. Il me disait de me lancer, de tenter
l’expérience, de passer à l’action. Je n’y croyais plus, je ne l’espérais plus.
Ma solitude se dissipait peu à peu. Mon cœur se réchauffait doucement et deux
mots se présentaient à mon esprit, comme une évidence : « vas-y ».
Tu dois pouvoir le faire toi aussi, tu dois pouvoir briser ton carcan, tes
chaînes invisibles. Mais la réalité reprenait alors le dessus : j’étais
toujours emprisonnée dans cette cage. Rattachée au sol, enfermée et attristée.
L’hirondelle virevoltait toujours et la mélodie de son escapade emplissait mon
esprit. L’idée s’insinuait petit à petit. Les neurones se mettaient en marche.
La liberté. Douce rêverie... Que dis-je, douce utopie. La belle, sentant mon
désarroi, revint une nouvelle fois. Plus persistante, plus engageante, plus
insistante. Et puis, à mon grand étonnement, elle se posa. Là, juste à quelques
centimètres de ma main, magnifique. Elle s’approchait et mon cœur s’emplissait
d’optimisme, d’une émotion trop souvent écartée. J’ai alors tenté le tout pour
le tout, sortir de sa zone de confort, se lancer à cœur perdue dans cet idéal
que je savais être fait pour moi. J’ai brisé mes chaines mentales, mes croyances
ancrées, mes chimères. J’ai levé la deuxième main, bougé la première, doucement
et puis de plus en plus vite. Mes pieds ont pris de l’assurance, l’un devant
l’autre, prenant de la vitesse dans une ronde frénétique, au sein de cette cage
qui n’en était une que parce que c’est l’importance que je lui accordais. J’ai
levé les yeux et me suis rendue compte qu’au dessus de ma tête, le ciel était
azur, vaste et qu’il ne tenait qu’à moi de m’y jeter. Je me suis élancée et
j’ai sauté. Là, comme ça. Avec la vitesse de ma course, le vent qui filait
autour de moi. L’hirondelle a repris son envol.
Le sol
s’approchait à vive allure, la sensation de liberté m’a prise de cours et le
danger m’a ragaillardie. L’oiseau s’est rapproché de moi, nous étions en
symbiose, connectés. M’appuyant sur ses conseils, j’ai alors agité une des
plumes au bout de ma main, puis une autre, plus rapidement et mes ailes se sont
mises à battre à l’unisson des siennes. Je m’élevais lentement dans les airs,
heureuse à mon tour. Mes yeux pétillaient de malice et de bonheur, la liberté
m’était acquise. Un sentiment doux et amer me retenait toutefois. J’éprouvais
de la tristesse pour cette humanité qui luttait contre ses propres prisons
dorées, là… au pied de cet arbre. Je ne pouvais toutefois pas m’empêcher
d’espérer : si j’avais réussi à le faire, ne le pourrait-elle pas un
jour ?